Les carnets de la Chimère

Jeudi 29 août

La chimère file au centre de réadaptation sociale pour BINGO NOVELA, avant de FLEURIR LES ABÎMES tout en poésie de l'instant. Et pourquoi ne pas partager la folitude d'un clown TROP PRÈS DU MUR, lâcher prise comme des acrobates ENTRE LE ZIST ET LE GESTE, ou revisiter Shakespeare dans POURQUOI ROMÉO N'A-T-IL PAS FINI CHEZ MIDAS ?...


En mode rébellion avec... BINGO NOVELA

Sous le soleil de Clohars-Carnoët, me voilà embarquée dans une manif des Sœurs Goudron pour sauver le CRS, centre de réadaptation sociale, de la privatisation par l’ignoble Sauciflex. Des négociations vont avoir lieu.

 

Hélène Morris (représentante syndicale), Christelle, Ludivine, Mélodie, Constance et Angélique toutes vêtues et maquillées de jaune, ou rose, ou bleu ou vert ou orange et mauve pétants, nous convient à un loto caritatif en attendant l’heure de la réunion.

 

Bon, tout ça paraît très sérieux n’est-ce pas ? 

Mais c’est sans compter sur l’humour irrésistible des six filles tout droit sorties de cartoons, avec leurs grimaces, leurs répliques comme “Allez bouboule” et leur gestuelle agrémentée de cascades burlesques parfois au ralenti (si si !), ou encore leurs lots invraisemblables pour le loto.

Il y a aussi leurs voix de sirènes qui me mettent les poils, enfin les plumes, euh... les écailles...

L’harmonie est palpable ; leur solidarité aussi, dans un monde où les fragiles doivent faire face à “ceux qui ont des diplômes de super-spécialistes” afin de les “rouler dans la farine pour leur bien”.

 

Je suis émue devant le combat social de ces oubliées, je suis avec elles. “On est là, on est là... tous ensemble, tous ensemble ouais, ouais !”

 

Chimèrement vôtre. 


FLEURIR LES ABÎMES avec grâce

J’ai repris mon envol en direction de Clohars et je me suis plongée dans le grand océan de mes origines afin de me rafraîchir tant il faisait chaud. 

Ensuite, je me suis installée face à l’île de Groix, devant un étrange arbre, peu feuillu, en écoutant tantôt une mélodie espagnole, tantôt un air de saxo ou un autre de piano… 

Ces instants paisibles ont été, un temps, rompus par l’arrivée massive de spectateurs avides d’instants magiques, de douceur et de poésie …

L’entrée en scène de l’artiste a très vite ramené tout ce beau monde au silence, à l’écoute et à la contemplation…

 

Claire Ducreux, toute en sourire, s’inquiète des mauvaises nouvelles du monde et voudrait créer un arbre de douceur.

Vêtue d’un long manteau et d’un bonnet, telle une vieille femme, elle promène une chaise, elle embrasse des spectateurs, elle parle à sa chaise comme à un animal de compagnie. Elle échange également avec l’arbre qui semble l’inviter à grimper sur son tronc. Reggiani l’accompagne d’un texte qui dit : « J’aime tant le temps qui reste… »

 

Elle entraîne une fillette dans ses évolutions. Celle-ci se prend timidement aux jeux et toutes deux nous offrent un beau moment de fraîcheur.

 

Le manteau tombe. Claire, seule, joue ensuite avec le vent et se joue de lui. Les feuilles bruissent quand elle s’enroule au tronc pour quelques moments d’élégance et de grâce…

 

Plus tard, c’est un jeune homme qu’elle entraîne dans sa chorégraphie et ses jeux sur un air d’accordéon, là encore, une belle complicité s’installe.

 

Des chants et des cris d’oiseaux l’interpellent et l’alertent qu’un nid est tombé de l’arbre. Claire se met à grimper et cherche la meilleure approche pour remettre le nid à sa place. Les oiseaux semblent la guider pour qu’elle monte toujours plus haut…

 

Elle est magnifique, étendue sur sa branche. Les oiseaux l’acclament.

Un piano joue, je crois reconnaître Avec le temps de Léo Ferré, ce temps qui passe, inexorablement…

Claire voulait nous faire partager des sensations, de la tendresse, de la solitude, elle a merveilleusement réussi, c’était un enchantement. J’ai vu cet arbre de la douceur dont elle parlait en introduction. Puisse le monde changer comme elle le souhaite si ardemment !

J’ai entendu des applaudissements nourris et même de nombreux bravos criés.

Je vais vous faire une confidence car vous ne m’avez sans doute pas vue : « C’est du creux de l’arbre que j’ai admiré Claire »

Chimèrement vôtre.

 


À vivre dans la folitude, TROP PRÈS DU MUR

Une jolie foule s’est massée dans le théâtre de verdure de Tréméven. J’hésite à rester en tenue légère car l’astre brillant et même brûlant de ce jour s’est caché. Je recouvre mes écailles de mes plumes.

Manu se présente aux spectateurs et les remercie d’être venus au monde et, peu à peu, il dévoile son être intérieur, oserais-je dire son amoureux intérieur Typhus …

 

Ils ont fait un enfant. La venue de ce petit être les interroge, les inquiète. Comment assumer cette paternité ?

 

Ils vont briser le mur qui les sépare des spectateurs et rentrer dans leur intimité en prenant soin de ne pas se fracasser dans le mur du fond, souvent très à la limite.

 

J’ai très vite entendu des éclats de rire, des rires de toutes les couleurs, jaunes très souvent.

J’ai entendu des dizaines de voix, des dizaines de personnages, des intonations différentes, des timbres de voix joyeux, innocents, tendres puis grinçants, acerbes, acides…

Ah, cet être intérieur incontrôlable ou mal contrôlé…

 

J’ai entendu un florilège de mots écorchés à l’image de Typhus. « Le Prince de Motordu » est une nonette face à la volubilité à la fois étonnante et tellement à propos de Typhus. Il est un père qui n’est pas à un impair près.

 

Quelle immense performance d’acteur, quels textes, quelle mise en scène … le public s’est immédiatement levé dès le clap de fin.

J’ai entendu quelques réactions : c’est du vitriol, c’est de la provoc poussée à ses extrêmes, est-ce un règlement de comptes, on passe de la douceur à l’insupportable… Une dame a même dit « ça va être dur de voir autre chose après… »

 

Une certitude, Emmanuel Gil et Typhus Bronx ne laissent personne indifférent, un grand bravo !

Je vais vous livrer une confidence en plagiant timidement Typhus : « C’était un crop meruant pestacte ! » 

Chimèrement vôtre.


ENTRE LE ZIST ET LE GESTE, la beauté de l'incertitude

Dans un décor très épuré constitué d’un simple tissu noir je vois apparaître deux individus timides, sans doute impressionnés par le flot de spectateurs ayant afflué cet après-midi jusqu’à l’école de Tréméven.

 

Très vite, les voilà qui se cachent derrière le décor. Ce sera là leur refuge, leur bouée de secours lorsque le spectacle dérapera. En effet, pendant tout leur duo de portés acrobatiques, le doute s’insinuera et s’installera, entraînant une succession de malentendus qui s’enchaîneront de manière loufoque : serait-ce le bon geste, le bon enchaînement ?

 

Les deux circassiens chuchotent, essayant de trouver ensemble une issue à leurs problèmes. Je les sens fragiles et anxieux, mais la complicité qui les animent les rend forts et, pris par la nécessité de continuer le spectacle, le duo se prend au jeu, invente, dérive…

 

Bien sûr ils, se trompent, ils hésitent, ils doutent, mais ils arrivent toujours à trouver une solution. Même en prenant des chemins détournés, ils arrivent toujours à destination. Le résultat est à chaque fois magique, impressionnant et … désopilant.

 

Des imprévus surviennent. Un des acrobates s’absente un moment, mais il faut continuer. C’est alors un enfant spectateur qui devient partenaire de l’aventure. Même pas peur ! Et ça marche !

 

C’est ingénieux, bourré d’humour, toujours rebondissant. On pense au burlesque et au cinéma muet, à Charlie Chaplin et Buster Keaton. 

Propulsée par la vague des spectateurs comblée par ce moment de poésie, je m’engage déjà vers le prochain spectacle.

Chimèrement vôtre !


En route pour un shakespearien "POURQUOI ROMÉO N'A-T-IL PAS FINI CHEZ MIDAS ?"

Après les prouesses circassiennes, c’est vers du théâtre classique que je me dirige. J’adore l’éclectisme des spectacles aux Rias !

 

Avant de commencer, le metteur en scène de La Compagnie du Deuxième prend la parole et nous présente la soirée comme étant un voyage artistique dans l’élaboration d’une œuvre classique. Faisant référence au Roméo et Juliette bien connu, il s’agit ici d’un spectacle qui sera mis en scène en direct, une « mise en scène de l’instant » comme on dit dans le jargon des théâtreux !

Évidemment tout n’est pas si simple : Roméo sera ici incarné par un acteur de soixante ans- 59 plus exactement- et Juliette par une femme... fatiguée. Cependant ces derniers ont le « métier dans les tripes », pensent que la maturité vaut largement la jeunesse, et assurent qu’un monologue écrit par Shakespeare ça se respecte !

Dès le départ , la scène est largement ouverte et nous savons donc à quoi nous sommes confrontés : les techniciens, costumières, régisseurs et responsables des effets spéciaux sont prêts, tous visibles du public. 

Bien sûr, les costumes sont souvent inadaptés, les effets spéciaux très... spéciaux et les accessoires souvent encombrants. L’important n’est pas là. Le théâtre d’avant-garde fait fi de ces détails.

Cependant, quelques écueils apparaissent lors des répétitions : la langue anglaise n’est pas toujours maîtrisée, les égos surdimensionnés de quelques-uns apparaissent et les conflits entre générations s’immiscent dans les répétitions. "Ça distorsionne un max dans l’équipe" me souffle ma jeune voisine ! L’hystérie n’est pas loin ! 

En tous cas, je comprends mieux pourquoi Roméo et Juliette n’ont pas fini chez Midas !

Shakespeare aurait-il pu monter cette pièce à notre époque ? Pas facile ! Je reste dubitative en nageant, la nuit tombée, vers ma prochaine étape.

Chimèrement vôtre !