Toujours à la page, la chimère poursuit son road trip littéraire et fait une halte sur les spectacles LA MONTAGNE, GEORGIA, APOCALYPSE, JOSIANES OU L'ART DE LA RÉSISTANCE, LE VIF, KAMCHÀTKA et À L'OUEST.
Écailles dorées par le soleil de l’après midi, je m’installe devant le spectacle proposé à Arzano : La Montagne, de la compagnie belge Les vrais Majors. En attendant les acteurs, a priori souvent en retard aux représentations, le public reprend les chansons proposées par le metteur en scène de la compagnie. Nous entonnons donc Les neiges du Kilimandjaro, Étoile des neiges et Viens sur la Montagne,... Un petit hors-d’œuvre avant l’arrivée des trois comédiens prêts à avaler les ordres de notre metteur en scène.
D’après ce dernier, il s’agit ici « de nous présenter une épopée, une œuvre majeure, représentant une aventure humaine exceptionnelle liant intimité et « extimité » où le spectateur passif peut devenir voyeur et ainsi voir une chose pour laquelle il n’est pas invité et faire humanité avec les autres ». « Humanité avec un grand U » ajoute l’un des acteurs. Ces propos me laissent pantoise et, de mes yeux globuleux, je constate, rassurée, que je ne suis pas la seule à ne rien comprendre. « C’est de l’humour belge » me souffle mon voisin !
Très pédagogue, le meneur de jeu explique que la compagnie est en résidence depuis deux semaines à Arzano dans le but de créer une adaptation, pour la rue, d’un film des années trente racontant une expédition en haute montagne. Il s’agit ce soir de présenter l’avancée des travaux par la présentation de quelques scènes, encore loin d’être abouties !
Celles-ci nous plongent, avec humour, au milieu des montagnes enneigées, les risques d’avalanches et les bonnes raclettes. Des accessoires simples (une table, du polystyrène, des sacs plastique), des bruitages réalisés en direct, contribuent à créer un univers montagnard que l’on partage avec plaisir. On s’y croirait !
Quelques questions existentielles sont abordées pendant la soirée. Je vous en donne un petit aperçu : La montagne est-elle « féminoïde » ? Le Husky est-il l’animal fétiche pour créer un contact entre les générations ? Quel fromage à raclette utilise-t-on en Bretagne ? A-t-on besoin d’avoir un physique d’acteur pour réussir ?
Et, plus sérieusement, ce spectacle en devenir est aussi l’occasion d’aborder la manière d’obtenir les subsides à la création, le fonctionnement hiérarchique au sein d’une compagnie du spectacle, la place que chacun se donne, la difficulté de créer, etc. Bien sûr quelques péripéties surviennent pendant ces répétitions, tout cela avec un humour follement débridé et riche en autodérision.
Pour terminer, j’entonne avec grand plaisir « Pourtant, que la montagne est belle, comment peut-on s’imaginer en voyant un vol d’hirondelles, que l’automne vient d’arriver ? » au milieu d’une chorale improvisée !
Chimèrement vôtre !
La nuit tombe sur Arzano, le ciel est rouge comme mes somptueuses couleurs sur l’affiche des Rias ou comme les trois rideaux du non moins superbe théâtre d’Annibal et ses éléphants.
Le « roman-film » s’ouvre sur un décor en ombres chinoises qui nous plonge rapidement dans l’univers des États-Unis des années 60. La voix du héros Mac Lain, détective privé, nous guide tout au long du spectacle. Il nous tiendra en haleine et ménagera le suspens durant ce « film » dont les étapes nous autorisent à découvrir peu à peu la belle, la ténébreuse, l’étrange, l’inaccessible Georgia.
Nous suivons Mac Lain, pas à pas, dans sa quête des tendres (un peu) et tumultueuses (le plus souvent) péripéties qui ont émaillé la jeune existence de Georgia. Tendres parfois grâce à l’amitié et l’amour de celles qui l’accueillent, tumultueuses et même glauques par le fait des agissements d’autres qui la manipulent.
… Ou est-ce elle qui les manipule ? Je n’ose trop en dire !
Et l’amour dans tout ça ? … Je me ravis encore de ce magnifique baiser final sur la chanson de Ray Charles Georgia on my mind.
Ce fabuleux moment de théâtre de rue nous permet d’admirer une performance de 19 acteurs tous aussi talentueux les uns que les autres. Que nenni, ils n’étaient pas 19, détrompez-vous, seulement 5 pour 19 personnages. Voyez que le choix du mot PERFORMANCE est plus que justifié.
Quels acteurs ! Quels talents !
Tous ces personnages sont truculents, attachants, émouvants, irritants, odieux, grossiers… : les gentilles libraire et bibliothécaire, les horribles parents de Georgia, Stessie et Gracy les frangines du palais du lotus, le général Shirby… et j’en passe…
Les dialogues et les sonorités de voix sont justes et ciblés, tellement en harmonie avec les personnages.
Je peux en dire de même pour les costumes et les masques : J’ai eu le privilège de me glisser dans les loges et d’admirer leur rangement « millimétré », tout est si précis ! L’enchaînement rapide des scènes ne permet pas de désordre. Une performance théâtrale, je le répète !
Je vais être à nouveau dans la confidence : « Thierry, l’un des acteurs, me l’a confirmé, c’est une performance surtout pour lui car la mise en scène ne l’a pas ménagé et ses différents rôles sont tellement rapprochés que je l’imagine bien tout agité en arrière-scène. » … et il se fend d’un gros rire.
Chimèrement vôtre !
Il me reste encore une ou deux plumes afin d’écrire quelques mots sur le rendez-vous donné à Quimperlé à 21h33 pour le spectacle des « Josianes ». C’est sous de fines gouttes de pluie que la foule, présente bien avant l’heure, attend calmement une éclaircie.
Face au public se dresse une construction monumentale, une façade d’immeuble à deux étages. C’est toujours plaisant de voir un décor soigné et de cette taille dans l’espace public ! Surtout quand il est habité par quatre femmes drôles, sensuelles, lumineuses et talentueuses !
Car malgré ce décor, nous n’allons pas assister à un spectacle de façade ! Son contenu sera culotté, empli d’énergie et de gaieté. Ces femmes osent, elles affirment leurs caractères et se battent pour leurs idées. En complète harmonie avec la cause féministe et l’envie de faire de leur art un moyen de résistance, les quatre complices mettent en lumière de façon humoristique les luttes passées et leurs impacts sur le monde actuel. Et le message passe !
A travers leurs acrobaties, leurs chorégraphies et même dans le choix des chants, j’admire chez elles le goût du risque et un certain grain de folie qui donnent à la fois légèreté et gravité à leurs interventions.
Leurs propos ne peuvent que susciter l’empathie chez chacun d’entre nous face à des situations singulières de notre monde. Les spectateurs se souviendront de leur expérience, se questionneront sur ce qu’ils ont vu et sur ce qu’ils peuvent faire pour modifier les choses individuellement et collectivement.
Goethe écrivait « L’audace renferme en soi génie, pouvoir et magie ». Bravo les Josianes pour votre audace ! Je m’en vais ravie. Je vous adore !
Chimèrement vôtre !
Je suis impatiente de « volnager » en direction de Moëlan-sur-Mer car le sujet du spectacle m’inspire au plus haut point : me questionner sur la part d’animalité de chacun-e.
Beau programme pour une chimère « humanisée », n’en serais-je pas une sorte d’incarnation d’ailleurs ?
Je suis arrivée en avance et je partage l’inquiétude de l’équipe : la pluie va-t-elle s’interrompre et épargner le spectacle ?
A 20h30 la pluie a cessé, le public s’installe paisiblement, un homme prépare consciencieusement la piste.
Le spectacle peut démarrer. Les prochaines minutes seront belles dans un tel décor de verdure magnifiquement éclairé.
Des êtres étranges, semblant sortir d’un cocon, entament une chorégraphie sur la piste. Un cheval, curieux, montre la tête au travers d’un rideau de franges puis s’invite dans la chorégraphie.
Je vais ainsi me laisser emporter dans une suite de tableaux tous plus beaux les uns que les autres.
Je suis bercée ou agitée par les musiques, les percussions et les chants mélodieux.
Je suis admirative des évolutions et ballets des magnifiques chevaux Bellini et Broadsword, du surprenant petit chien, des danseurs et acrobates.
Les costumes et le décor me ravissent.
Chevaux et humains, se toisent, se jaugent, se recherchent, se fuient ou se complètent.
Ils s’entremêlent comme pour n’être plus qu’un. Je ne sais plus très bien qui entraîne qui.
J’entends : « Désormais c’est le cheval qui donne sens à ta vie. » ou «Il faut s’accorder entre vivants d’espèces différentes.»
Quel enchantement, quel esthétisme, quelle belle complicité entre l’humain et l’animal, quel beau moment d’apaisement !
Lors du salut, les applaudissements sont forts et sincères. Vient ensuite un silence étonnant, comme un court moment pour en profiter encore un peu. Un public encore sous le charme sans doute, durant quelques instants.
Je suis obligée de vous faire une dernière confidence : J’ai été conquise et « cheval’faire savoir » autour de moi.
Chimèrement vôtre.
Des êtres particuliers nous accueillent, étranges ou étrangers je ne le sais exactement, mais d’un monde autre assurément.
Le monde d’après l’Apocalypse.
Nous sommes là pour commémorer les 50 ans de l’Apocalypse, pour nous recueillir autour du mémorial des victimes, pour visiter "la musée" d’avant.
Les acteurs nous remercient d’être venus en costume d’époque.
Ils utilisent un langage propre à leur monde, celui d’après, un langage que je m’autorise à qualifier de "féminisé" : la béton considérée comme arme de construction massive, la pétrole dont la pénurie de 2025 a entraîné les grandes famines de Paris, de Monaco... , la vieille lampadaire siamoise...
Ces êtres sont très gentils, ils se respectent : "Je t’aime et vive la terre !", "Rien n’est à personne, tout est à tous !"... Ils partagent l’eau et la boivent à la goutte...
Ah mais, ils utilisent des esclaves. Bizarre !
Je ne suis pas forcément à l’aise dans mes baskets écailleuses et plumesques. Je m’amuse bien sûr, je ris mais, simultanément, je sens que mes arêtes commencent à se glacer : Comment a-t-on pu en arriver là ?
Quand a eu lieu le basculement ? Le débat s’installe : révolution industrielle, colonisation, Moyen-âge, fin du nomadisme ...?
Je vois beaucoup de spectateurs humains autour de moi qui acquiescent, doutent, s’interrogent sûrement.
Une actrice tente une conclusion : "Il était trop tard depuis toujours !"
Que dire de la vie quotidienne d’avant, des années-confort, des surgelés, des voyages dans l’espace ?
Qui peut rester insensible à la scène du pique-nique sur l’aire d’autoroute et sur l’air de "Au soleil" ?
Ils ont retrouvé une "VO-ATU-RE" à Lorient et l’ont poussée en une vingtaine d’heures jusqu’à Baye.
Ils échangent, sur la voiture, la surconsommation, la décroissance...
Peut-on s’en foutre, rester insouciant ?
Doit-on s’inquièter, se bouger ?
Vont s’ensuivre une série de scènes, de situations, de chansons, amusantes certes mais, caustiques, dérangeantes, effrayantes peut-être et qui amènent au "Déclin"...
Pardon belle Planète bleue, pardon Terre chérie de mon coeur, pardon Lady Gaïa...
Qui a raison ? Qui a tort ? Y a-t-il une solution ? Doit-on se résigner ou réagir ? Les protagonistes se déchirent sur l’utilité ou l’inutilité du spectacle...
"On est tous dans la merde !", "Tu nous fous la trouille avec ton spectacle !", "Je n’ai pas la prétention d’avoir des solutions."
Doit-on être ange de l’espoir ou de l’action ?
Autant de questionnements et de justifications qui nous amènent à la chorégraphie et la remarquable chanson finale.
Applaudissements nourris, les gens ne se sont pas levés, ils l’étaient déjà !
La pluie n’a fait fuir personne, c’est tout dire, un grand bravo !
Je vais vous faire une confidence : j’ai adhéré à "Apéro d’accord mais révolution d’abord !"
Est-ce dû au rouge de mes écailles et de mes plumes ou à ma rougeur de confusion d’appartenir à ce monde ?
Chimèrement vôtre
D’humeur un peu paresseuse en ce dernier jour des Rias, je me suis laissée porter par la brise vers la clairière, fraîchement fauchée, où m’attendait, j’ose l’imaginer, Clown Pétrole et son spectacle À l’Ouest !
De grands arbres entourent l’espace, le vent bruisse dans les feuilles. Du linge sèche sur des cordes tendues entre les troncs, un bric-à-brac de table et chaises renversées, caisses en tous genres, sacs de jute jonchent le sol, dans une parfaite harmonie de couleurs avec la nature environnante. Je me glisse parmi les autres spectateurs.
Je venais voir un clown, une vagabonde fait son entrée. Elle voudrait bien retrouver la truite, maigre pitance pour son prochain repas, qu’elle a enterrée non loin de là ; elle demande la permission de traverser. Elle s’étonne soudainement de notre présence, est tout heureuse d’apprendre qu’un spectacle va avoir lieu et se joint à nous. Mais l’impatience la gagne : où sont donc les comédiens ? Personne dans les loges ! Qu’importe, pleine d’imagination, elle nous propose de faire nous-mêmes le scénario du spectacle où elle tiendra, bien entendu, le rôle principal.
Impossible de résister à une telle énergie, me voilà embarquée à la conquête de l’Ouest, sur les traces de Martha Jane Cannary, plus connue sous le nom de Calamity Jane. Il ne lui faut d’ailleurs que quelques instants pour devenir, sous nos yeux, cette légende de l’Ouest, rebelle et gouailleuse !
À l’image de celle qu’elle incarne, elle n’épargne personne. Elle égratigne sans pitié les clichés des cow-boys maintes fois ressassés par les westerns d’Hollywood. Elle s’indigne de la place infime que les hommes, machos, prétendaient laisser aux femmes. "Girl power !". Elle évoque avec ardeur le courage nécessaire à une femme pour choisir son destin. Elle dénonce cette propension des colons à s’approprier les terres de ceux qui vivaient là bien avant eux.
Mais Clown Pétrole est bien un clown. Si elle sait donner à réfléchir, elle sait aussi faire rire et ne s’en prive pas. Les émotions fortes ne sont jamais bien loin. Quand elle évoque les liens entre Martha Jane Cannary et sa fille, une larme coule sur mes écailles. Le spectacle se termine par un vibrant appel au respect de la nature : un message qui n’a rien de chimérique, espérons-le !
Chimèrement vôtre.
Clohars-Carnoët, samedi 31 du mois d’août,10h36, je me pose sur le banc d’un superbe point de vue d’où je vois le ciel et la mer se rejoindre dans un bleu gris vert un peu brumeux : glaz comme on dit ici en Bretagne. Un bateau navigue au loin.
Le soleil se lève, la brise est un peu fraîche et se glisse entre mes plumes ; chacun vaque à ses occupations : rêverie les yeux fixés sur la mer, lecture du “Télégramme” ou discussion entre amis, On attend le début du spectacle de Kamtchatka en déambulation...mais par où vont-ils arriver ? Par la mer ? Par la terre ? Moi, animal de terremer, tout me va.
Soudain, du haut de la falaise plus loin, à 11h11, j’aperçois des hommes et des femmes alignés, statiques, face à la mer : ils semblent regarder dans notre direction. Ils portent des manteaux, des valises et parfois des chapeaux. Ils se donnent la main pour descendre la falaise, on dirait les personnages animés de Folon qui annonçaient la fin des programmes et l’heure de se coucher à la télé dans les années 70-80 – Oui je sais, la chimère n’est pas toute jeune ! On les retrouve sur notre esplanade devant un muret. Ils ont l’air de venir d’une autre époque dans leurs vêtements surannés et leurs valises en carton. Ils semblent surpris de nous voir. Le silence se fait. Qui sont-ils ? Des voyageurs ? Des migrants ? “Bienvenue ! ”crie un homme dans le public. Aussitôt un sourire se dessine sur leurs visages ; un chien aboie et le groupe se met aussitôt en retrait, visage fermé, valise ramenée à la poitrine. Il y a de la méfiance. Nos échanges de regard ramènent le sourire sur leurs visages : je comprends que c’est leur mode de communication. Peut-être viennent-ils de si loin qu’on ne peut absolument pas communiquer dans une langue commune ?
Ils traversent la foule, rencontrent sur leur chemin une femme assise en train de manger. Ils se posent en cercle devant elle, l’observant avec envie : ont-ils faim ? La femme leur adresse un large sourire : une des migrantes s’approche d’elle et se voit offrir une pastille, un bonbon ? S’ensuit une danse “eucharistique” où la femme partage ses pastilles avec tous les migrants à genoux qui la remercient chaleureusement en l’entourant de leurs bras dans un cercle d’amour.
Le groupe poursuit son chemin, se retrouve devant un muret à gravir : le groupe passe puis devient passeur car il aide également le public à franchir le mur. “Merci” dis-je à l’homme qui m’a aidée. Une chaîne de solidarité s’est créée spontanément. Nous devenons tous migrants et nous continuons la route vers l’inconnu.
Bientôt la plage : à chaque étape nous devenons de plus en plus solidaires, nous nous accompagnons les uns les autres. Je suis noyée (un comble pour moi !) mais aussi portée par la foule. Rien n’est dit, tout se passe dans le regard, les sourires et les accolades : c’est fort ! Je suis remplie d’amour et de fraternité et m’en vais plonger dans la mer, sereine et rassurée sur le genre humain.
Chimèrement vôtre.